Le Prince de l'Eau

 

Histoire entendue une nuit de lune sur le marae* de TapuTapuAtea, cœur de Raiatea

Léo aimait l'eau au point que dans toutes les îles il était connu sous le nom de Léo de l'eau.

Ce surnom lui convenait et même lui plaisait : l'eau était son domaine, surtout depuis qu'il

avait décidé de vivre au fond des eaux tièdes du lagon. Dans la barrière de corail, il avait

creusé son palais, riche des couleurs de Polynésie. C'était un jour de printemps, en septembre

ou octobre, qu'il avait décidé de quitter la terre, ses cocotiers, ses fougères et ses bananiers

sauvages. Le matin, dans le port d'Uturoa, comme de coutume, il avait fait ses longueurs, crawl,

brasse, dos, en alternance ; il avait totalisé 2000 m, un banal quotidien qui avait fait de lui un athlète

admiré de toutes les filles de Raiatéa et envié par tous les garçons côté mer et côté montagne.

Il plongeait avec hardiesse et fluidité dans ce qui était son élément préféré : il était le feu ardent

qui depuis la terre allait conquérir l'eau marine. En fait, Léo ne manquait pas d'air et il faisait

beaucoup de jaloux lorsque, fier de sa stature et de sa musculature, il arpentait les quais d'Uturoa

sous les regards admiratifs des jeunes vahinés qui, à son passage, lui lançaient la fleur de tiaré

qu'elles portaient à l'oreille. " Ah ! Léo de l'Eau ! Hello, Léo de l'Eau ! Hello ! " Mais lui les ignorait

avec superbe, son esprit préoccupé par les mathématiques, la poésie, la grammaire ; et aussi par

quelques notes de musique.

 

C'est ainsi que ce matin-là, il était tombé dans une embuscade tendue par les jaloux.

* marae : dans l'ancienne Polynésie, espace consacré aux Dieux